Au boulot ! Documentaire-comédie de François Ruffin et Gilles Perret (1H24)
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Le député de la première circonscription de la Somme, François Ruffin, est de retour au cinéma avec Gilles Perret, son complice. Ensemble, ils sont les fers de lance d’une mouvance documentaire sur la réalité sociale en France et ils effectuent depuis novembre, un tour de France des cinémas avec leur nouveau film : « Au boulot ! ». François Ruffin pose l’argument : Comment réinsérer socialement les riches. Pour filmer leur ambition, ils ont convoqué la juriste des influenceurs, elle-même influenceuse et chroniqueuse sur CNews (TPMP) et RMC (Les Grandes Gueules): Sarah Saldmann.
Le film conduit en terres inconnues la jeune femme ultra-provocatrice, auprès d’acteurs qui font tourner l’économie française et qui gagnent, au mieux, le SMIC. L’intention est, si possible, de la désenvoûter de ses lieux communs et clichés choquant, en lui révélant la France de ceux qu’elle qualifie avec mépris, d’assistés, « ces glandus ».
Sept jours. Six métiers que Sarah Saldmann teste et un loisir dominical : le foot féminin où elle se sent plus à l’aise dans les vestiaires que sur le terrain. Il faut avouer : elle fait le job, pas bégueule. Dans une usine de poissons qu’elle découpe et met sous vide ; auprès d’un livreur de colis ; dans un restaurant, où elle est au four et au moulin ; aidante assurant la prise en charge d’un vieil homme dépendant ; au ménage, à récurer, frotter, balayer ; auprès d’un agriculteur incisif avec lequel l’amour n’est pas franchement dans le pré. Le démarrage est caricatural, lorsqu’elle se présente en talons aiguilles et ongles sulfureux, un peu trop maquillée. Mais elle fait preuve de suffisamment d’autodérision et de répartie, pour se jouer des codes, louvoyer ou admettre qu’elle a peur devant le troupeau de vaches. Honnête, elle est soulagée de retrouver, en milieu de semaine, son univers d’arrivistes consuméristes, où les vestes coûtent plus de 10.000 euros, où le champagne coule à flots et où les femmes sont fières de se faire entretenir par leur riche mari. Elle n’hésite pas, face cam’ à présenter la longue wishlist qu’elle actualise régulièrement : un Kelly Hermès, une veste Balmain.
Le tournage se gâte lorsqu’elle prend parti pour Israël contre Gaza. La limite a été franchie. Elle s’en moque, la voilà retournée sur les plateaux télé. Si elle n’évoque plus l’assistanat, elle stigmatise les cités et les immigrés. Ses sujets demeurent populistes et cette jeune femme ne m’a pas semblé dotée d’une intelligence de cœur développée. C’est dommage parce qu’en face d’elle, le film nous présente des femmes et des hommes sincères et émouvants. Qui font toute la différence entre le monde de Sarah Saldmann déconnecté (ou plutôt : hyper-connecté, où la culture semble absente, au profit du nombre de followers) et insensible, et celui d’une France qui bosse coûte que coûte, spontanée et authentique. C’est d’ailleurs cela qui fait de « Au boulot ! » un film touchant et un documentaire jamais misérabiliste ou dans je jugement, mais concret et efficace.
Reste à savoir maintenant, puisque le film n’est pas diffusé sur les chaînes de télévision, qu’elles soient privées ou de service public, diffusé dans des salles de cinéma confidentielles d’art et essai, et dénoncé par La France Insoumise, quel impact concret le documentaire aura d’un point de vue politique et d’avancées sociales. J’ai peur qu’il ne créé davantage de frustrations auprès d’un public éloigné des débats qui les concernent pourtant, que de satisfaction quant à la reconnaissance qu’ils attendent, financière, professionnelle, morale, sociétale. Que le film leur apporte, avec une joie non feinte.
La réinsertion de Sarah Saldmann a clairement échoué. J'ai l'impression qu'elle a réalisé un coup de com’ médiatique, cinématographique et numérique. Quant à celle des vrais riches (dont madame Saldmann ne fait pas partie, en vérité) : les aristocrates, les 4 milliardaires français les plus riches dont la fortune a grimpé de 87% depuis 2020, les 42 milliardaires français qui ont gagné 230 milliards d’euros soit l’équivalent d’un chèque de 3.400 euros pour chaque français (rapport Oxfam, janvier 2024) : il est trop tôt pour tirer un bilan.