Christophe Beaux l’est au pluriel et avec un X majuscule. Beau comme son nom prédestiné, un nom à destin. Il est beau hard core et haut fonctionnaire. Et aussi beau comme un lapin. Ça alors, je n’y avais pas réfléchi: Lapin. Pourtant, Christophe Beaux j’ai eu maintes occasions de me retrouver en sa compagnie, toutes institutionnelles à l’ennui (de mon point de vue et qui dit ennui dit alcool), souvent sur des domaines de chasse et de lapins, et d’emblée sa beauté mutine me subjuguait durablement. Qu’il fût homo n’a jamais été un sujet. Dans ces contextes-là, comme « la nuit : la communication réduite à l’essentiel » (« Je sors ce soir »*, Guillaume Dustan). Sauf que ce qui est plaisant la nuit, ne l’est plus tout à fait en événements fastueux et représentations aussi codées que masquées. Dustan, encore, raconte qu’à la Loco, fin 90’ : « Je mate en me disant que c’est cool d’être là à nouveau, parmi mes frères du ghetto. Que des pédés. Que des mecs que je peux regarder sans aucun risque de me faire casser la gueule. Même si c’est dans les yeux. Que des mecs à qui ça fait a priori plaisir que je puisse avoir envie d’eux. Un endroit où je n’ai plus à être sur la défensive. » Moi aussi, dans les 90’ je prenais un plaisir fou à mater, les gars les filles, au bar. Je ne me suis jamais dit que ça eût pu craindre (sans doute pas pour les filles). En revanche, rétrospectivement je m’aperçois que j’ai passé davantage de temps avec ces frères de ghetto, sans être moi-même concernée.
Une époque où on osait, où on se mêlait, comme ça, c’est tout. « Il n'y a jamais de bagarres. On a la paix. »*
Étions-nous heureux ?
Guillaume Dustan lui, avait tout l’air de s’y emmerder.
Mais Guillaume Dustan était le paradoxe incarné.
Il était la vie et la mort.
Lui et autrui.
De Christophe Beaux, ce que j’ai préféré, ce sont les expositions qu’il a scénarisées à la Monnaie de Paris, en particulier celle où j’ai appris à #swapper aux côtés de Christian Boltanski : troquer, pour approcher la valeur de l’art ? Celle où je me suis questionnée sur l’humanisme à travers les monnaies de Kounellis. Dans un lieu patrimonial et mémoriel, des idées originales et généreuses, comme ce récit qu’il publie aujourd’hui, tout en noir.
De « Un tombeau pour Dustan » (aux éditions Robert Laffont), ce que je préfère, c’est la « Lettre d’amour posthume » et enterrée le 3 octobre 2005. Qui résume un amour aussi déséquilibré que fulgurant, aussi passionnel que fatal. Un amour tragique et romantique.
Christophe Beaux en restitue sa sève le cœur battant jusqu’aux tempes, avec une sincérité désarmante. Un récit cru et élégant, châtié et vernaculaire, underground et lumineux, intime et impudique, poétique et chaotique. À l’image de son amour et mentor, Guillaume Dustan et William Baranès, écrivain des circonvolutions de soi et d’une époque, génial et sulfureux, essayiste à perruques et haut fonctionnaire désabusé. Contraint par ce qui s’apparente à un maudit syndrome de l’imposteur et des « pensées limitantes » pourrait-on dire, reçues en héritage. Des blocages que l’élève dominé a dépassés, surpassés, comme si l’ardent amant l’avait transfugé en un #swap avant-gardiste.
Une histoire romanesque qui commence au son de « Joe le taxi » sous une guirlande comme celles du Globo d’autrefois, et qui ne s’arrête jamais, même une fois terminée. Désormais, pour l’éternité. Une histoire d’empreinte mentale et sexuelle. Une histoire belle et triste, d’emprise réciproque. Une histoire sous exta, enivrée de beauté et de « rythme dans le cul »* ; une histoire de baise au cimetière et de livres baptismaux, de smoking sur mesure et de slip rouge vif Calvin Klein aux surpiqûres avantageuses, de culte du corps et de 501 élimé. Une histoire qui traverse l’une des époques les plus insouciances, entre la fosse de la Loco et les backrooms parisiennes sous techno, et les plus mortifères, celles des soirées sans capote. Une histoire sans concession d’apprentissage et d’émancipation, jusqu’aux sommets de l’État.
Ce qu’il reste ? Les lampions des commencements. Une tendresse nostalgique infinie qui délivre de la culpabilité et peut-être de la honte aussi. Christophe Beaux a #swapé robe de magistrat et écriture pour offrir à l’ange déchu une émouvante et inattendue réhabilitation.
« J’ai mis très longtemps à comprendre que quand on me regarde, c’est que j’intéresse » (Guillaume Dustan, « Je sors ce soir »* Aux éditions P.O.L.).