Papiers d’Arménie
Tant que les Turcs ne reconnaîtront pas le génocide, rien n’avancera.
Un matin, un chat dormait au pied de mon lit. Il s’était faufilé à mon insu par le « Velux » de ma chambre. Timide au début, il est revenu, prouvant sa témérité. Puis nous nous sommes apprivoisés. Il avait probablement décidé de m’adopter : avait-il reconnu en moi l’Arménienne qui sommeille ? Car en discutant avec ses propriétaires, mes voisins, j’apprends qu’il s’agit d’une race rare : un « Turc du lac de Van ». Appellation erronée pour cette race de chats qui a grandi au pied du mont Ararat, où Noé arriva avec son arche. Or selon la Sainte Bible : « ... L’Eden biblique serait l’Arménie, d’où sortent les fleuves de l’Euphrate, de l’Araxe et du Tigre » (Le paradis terrestre, Genèse, 1, 27 à 31). Puis : « Le vingt-septième jour du septième mois, l’arche cessa d’être à flot et s’arrêta sur le mont Ararat »(Le déluge, Genèse, VIII, 1 à 2). Enfin : « De tout le genre humain, huit personnes seulement avaient échappé au déluge : Noé, ses trois fils, Sem, Cham et Japhet, et leurs femmes ; et c’est d’eux que descend toute la race des hommes qui se répandit sur terre ». La race de Japhet –qui signifie extension- a peuplé l’Europe, plusieurs pays d’Asie Mineuse et de vastes contrées dans l’Inde. Ce chat se révèle donc un descendant de Japhet. Il est Arménien et les Turcs se sont approprié indûment le Chat de Van. Pour les Arméniens, qui se reconnaissent comme les enfants de Japhet, ce chat représente le symbole de la résistance à l’envahisseur pendant le génocide Arménien. Le symbole des Arméniens face à la dictature Turque. Le chat de Van est un chat dissident et libre. Un chat rebelle et courageux.
Selon Confucius, le courage consiste à réaliser ce qui est juste. C’est dans cette logique que Jean-Pierre Guéno et Georges Kévorkian, historiens et écrivains, ont écrit sur un pan de l’histoire vertueuse de la France : La flotte française au secours de près de 5 000 Arméniens. Le 12 septembre 1915, la Marine française embarque ces réfugiés arméniens, hommes, femmes et enfants, à bord des bâtiments Desaix, Guichen, Amiral Charner, Foudre et d’Estrées, et les conduisent à Port-Saïd. Les Arméniens sont évacués du Mont Moïse, situé en bordure du golfe d’Alexandrette. La grande Arménie s’étendait du golfe d’Alexandrette jusqu’à la ville de Tarse, et au-delà du lac de Van, l’une des trois mers sacrées des Arméniens, avec le lac Sevan et celui d’Ourmiah en Iran. Très purs, ces lacs irriguaient la grande Arménie de l’histoire. Le chat de Van vit avec cet héritage. Aujourd’hui, je le regarde et me demande s’il n’est pas la réincarnation d’Aghtamar, qui selon une légende arménienne traversait le lac de Van à la nage pour rejoindre sa belle Tamar. Comme Aghtamar, chaque jour ce chat traverse les toits pour me retrouver. Une race exceptionnelle, me sera-t-il confirmé par l’unique chatterie parisienne. Une race de chats qui porte bonheur et protège. Depuis l’an deux mille, il n’existe plus aucun Chat de Van à l’état sauvage. Les derniers ont été massacrés au début de ce siècle, précisément parce qu’ils représentaient le symbole de l’identité nationale Arménienne, de la volonté de survie d’un peuple dont le génocide reste nié. En avril 1915 le génocide Arménien est déclenché, un million et demi d’Arméniens sont torturés, violés, amputés, déportés. 5 000 seront sauvés par la France et sa flotte. C’est ce pan d’histoire-là que nous dévoilent Jean-Pierre Guéno dans son beau livre fort instructif « Les Diamants de l’Histoire » et Georges Kévorkian dans « La flotte française au secours des Arméniens ». Si le livre de Georges Kévorkian est entièrement consacré à ce sauvetage, celui de Jean-Pierre Guéno, conçu comme une petite fabrique de l’Histoire, révèle d’autres diamants historiques. Deux livres mis en images avec des archives impressionnantes : cartes postales, photos, lettres d’époques. Autant de pièces à conviction : il ne nous est plus possible de nier.
Les diamants de l’Histoire, Jean-Pierre Guéno (éditions Jacob-Duvernet) 29,90 €
La flotte française au secours des Arméniens, Georges Kévorkian (Marines éditions) 29€