Imaginez. Vous prenez place dans une barque, silhouette blanche spectrale éblouissante. Guidé par le passeur Caron, vous atteignez « L’île des morts ». Ou bien est-celle des bienheureux ? Vous avez rendez-vous. Votre destin. L’eau symbolise ce passage. Un poème symphonique souligne votre pèlerinage. Rachmaninov est à vos côtés ou Scriabine. Liszt avant eux. Car vous oscillez entre romantisme et modernisme, ancien et nouveau, naturel et surnaturel, rêve et cauchemar, quotidien et imaginaire, créatures humaines et fantastiques, vie et mort. La traversée ravive vos états d’âmes, l’insouciance de votre jeunesse, votre mélancolie, votre maturité lumineuse, et bientôt votre finitude. Le glas de votre renaissance. Votre esprit est absorbé par la force créatrice qui se dégage des toiles de Goya, Ernst, Géricault, Redon, Böcklin. Votre part obscure se révèle sous les traits de Médée, vous frémissez au chant des sirènes ou à la vision des sorcières, vos démons trouvent un écho face à Satan ou au « Crâne aux yeux exorbités et mains agrippées au mur ». Vous relisez, affamés, Dante et Goethe, visionnez tel un vampire Murnau et Lang, car l’exposition, découpée en trois temps allant de 1770 à 1940 (Naissance –le romantisme, Affranchissement –le symbolisme, et Redécouverte –le surréalisme) est ponctuée d’extraits de films en noir et blanc, intemporels. Enténébrez-vous, plongez dans ce romantisme noir, dans cette inquiétante étrangeté, pour mieux jouir de la vie.
Jusqu’au 9 juin, au musée d’Orsay, Paris, 7ème. www.musee-orsay.fr