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Claudine à Paris
Claudine à Paris

Jeanne Augier, aux multiples talents, se révèle enquêteuse hors pair. Avocate, journaliste, écrivain, photographe. Ce passé protéiforme aide probablement à proposer un ouvrage original, qui raconte et synthétise Colette, sa vie son œuvre, et Claudine, sa carrière. Une pièce rare. Jeanne Augier a réalisé une découverte fantastique dans les archives de la SACD et, pendant plus d’un an elle a effectué un travail de recherche des ayants droit possibles. Elle a obtenu le soutien et la collaboration d’une chaîne de personnes bienveillantes, autant d’ange-gardiens : éditeurs, archivistes, avocats, bibliothèques, la SACD bien sûr, journalistes, comédiens, auteurs, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Elle avait déjà publié « Colette et la Belgique » (Editions Racine) et un éditeur Belge, les Editions Avant-Propos, publie aujourd’hui ce qui se révèle un document exceptionnel.

Claudine à Paris

Une pièce de théâtre qui avait mystérieusement disparu certes, mais pas que. Le texte, intégral, est enrichi de clichés d’époque, d’illustrations et d’affiches, de lettres manuscrites, et d’une partie historique qui retrace la naissance de Claudine, son fabuleux destin de la création des romans aux téléfilms d’Edouard Molinaro. Jeanne Augier évoque la flamboyance de Colette, ses références érotiques dont elle ne se cachera jamais et que l’on retrouve en soulevant chacun de ses mots, la forme d’amour qu’elle éprouvera pour Willy, sa bisexualité, ses lieux de prédilection. Plus intéressant, parce que méconnu ou oublié, les adaptations, que ce soit sur scène ou pour l’écran et les interprètes incroyables qui ont adopté Claudine, son père, ou sa fidèle servante nourricière. Quelques noms parmi d’autres, car il faut bien choisir. Loulou Hégoburu, qui connaître un succès mondial dans la comédie musicale, Blanchette Brunoy, qui sera remarquée dans « La Marie du port » inspiré de Simenon, Mouloudji qui joue Moulou dans l’adaptation de « Claudine à l’école » réalisée par Serge de Poligny (1937). Ce long-métrage ne sera pas jugé fidèle, et le personnage de Luce remplacé par celui de Moulou, confident de Claudine ne convainc pas. Plus proche de nous, Marie-Hélène Breillat dans le téléfilm de Molinaro. Enfin, notons l’attention particulière portée à Fanchette, cette chatte énigmatique et ses amours coquins que l’attentive Mélie scrute tout autant que celles de sa « guéline », sa protégée : Claudine. Un document de l’INA propose de revoir cette petite chatte inspirante.

Adaptations

Début XXe siècle, la pièce a été jouée, adaptée du roman éponyme de Willy et Colette. Le rôle de Claudine est d’abord interprété par l’audacieuse et résolue Polaire, célèbre pour ses humeurs et sa taille si étroite, avant d’être repris par Colette elle-même. Elle fera le succès des salles parisiennes, notamment des Bouffes-Parisiens où elle est créée (1902). Polaire incarne Claudine, comme si ce personnage avait été créé sur-mesure, comme un vêtement, avant que Colette ne se réapproprie sa Claudine. Mais alors les transformations de l’une et de l’autre, entre temps, sont tellement spectaculaires, qu’il devient confus de préciser qui de Colette ou Polaire est la véritable Claudine. Claudine est un mythe et davantage. A la manière d’une chatte, elle s’est incarnée et réincarnée. Plusieurs vies : Claudine (film), Claudine à l’école (roman, théâtre, film et téléfilm), Claudine à Paris (roman, théâtre, film et téléfilm), Claudine en ménage, Claudine s’en va avant La retraite sentimentale, et puis Claudine au Moulin-Rouge (opérette).

Au théâtre

La pièce est savoureuse, un vaudeville en français et en argot. Colette s’amuse visiblement, et nous fait découvrir un idiome local, un vocable ancien qui côtoie une langue contemporaine, des jargons exquis même lorsqu’ils sont adoucis. Les traductions et notes du Lexique Dauphinois, d’Emile Littré, du Petit Larousse illustré ou, carrément, car Colette ne s’embarrasse pas et ne manque pas de fantaisie, du Trésor de la langue française et son dictionnaire de langue du XIXe et XXe siècle, rien que ça, ne sont pas superflus. Une expression comme celle-ci : « Tu mets toujours des chaussettes ? » dont Colette use avec sédition et facétie, qui parait bien anodine voire fade aujourd’hui, était très osée à l’époque. Mais Colette bravait. Elle ne manquait pas de malice, travestissant les lieux : « Le Cabaret du rat mort » devenant ainsi « La Souris convalescente ». Vous reprendrez volontiers un peu de papoue, n’est-ce pas ? Cette soupe en argot des nourrices fresnoises.

L’intrigue ne manque pas non plus de piment, puisque Colette marie un vieil Oncle libidineux à la jeune Luce l'amie de pension, amourache Claudine de Renaud un cousin qui a l’âge de son père, lequel père ne se préoccupe que de ses limaces, dont il est spécialiste, secondé par son fidèle secrétaire Monsieur Maria, amoureux de Claudine qui le dédaigne. Claudine aime que ça pétille, elle goûte volontiers au champagne, effrontée pleine de charme, irrésistible dans sa robe sobre et ajustée, dont la seule originalité demeure ce fameux col, qui deviendra un accessoire culte et intemporel. Suivra une série de produits dérivés.

D’autres personnages, dont aucun n’est secondaire -et en cela l’écriture de Colette est construite, harmonieuse et équilibrée, en plus d’être emplie de panache, viennent compléter les tableaux, que ce soit dans le cabinet de travail, dans le bureau ou la chambre de Claudine, dans les cabarets. Sans oublier l’une des protagonistes majeure, quoique particulièrement discrète : Fanchette, la chatte de la maisonnée, qui entre en scène dès le lever de rideau.

En filigrane c’est de Colette dont il est question, de sa relation singulière avec Willy, qu’elle épousera jeune et dont elle divorcera, et de son écriture. Colette n’a jamais fait autre chose qu’écrire, un don que Willy exploitera largement mais saura aussi, d’un autre côté mettre en valeur. Willy est, en avant-propos, un mentor ! Un homme de marketing et un dénicheur de talents également même si, s’agissant de Polaire, il sera tout d’abord réticent. Mais face au destin, on est tous impuissants : Willy n’y échappe pas. Polaire se précipitera au domicile de Willy et Colette pour lui affirmer : « Non, Meussieur Wili, non, Claudine ce n’est pas Une-Telle, ni Mme Chose, ni Mlle Truc ou Machin-Chouette… Non, Meussieur Vili, Claudine, c’est moi ».

Claudine à Paris, pièce inédite de Willy et Luvey d’après le roman de Willy et Colette. Un ouvrage illustré et fort bien documenté de Jeanne Augier, aux éditions Avant-Propos, 171 pages, 22 euros.

Tag(s) : #Théâtre, #Litterature, #EVENT
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