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Compagnie Zirlib
Mes Parents

Il reste encore ce soir pour découvrir non seulement le théâtre de Morlaix, à l'italienne IIIè République, construit grâce à un legs du Comte Paul Ange de Guernisac, classé Monument historique, et la pièce "Mes Parents" créé par la compagnie Zirlib, mise en scène par Mohamed El Khatib, avec dix comédiens de la dixième promotion de l'École du Théâtre National de Bretagne.

Pendant une heure, ils passent en revue à travers d'infimes mais redoutables détails, beaucoup de pudeur et de tendresse, la vision qu'ils ont de leurs parents, génération 1968. Sur scène se mêlent réminiscences et scènes d'intimités qui, mises bout à bout, composent un portrait universel et atemporel des parents. 

Née du chaos de cette année-là, je me suis sentie concernée, quoique sans enfant. J'ai voulu savoir quelle empreinte les cinquante-soixante ans laissaient aux vingt-cinq-trente ans, au coeur d'un monde en pleine révolution. En 2024, qu'y a-t-il sous les pavés ? Ni plage ni rage mais de l'éthique, une intelligence relationnelle et une réjouissante maturité. Les comédiens témoignent : "On a considéré nos parents comme des personnes, d'égal à égal." Force est de constater que dans ce spectacle, il est moins question d'enfants vs leurs parents que d'alter egos. Le fait d'être artiste et de l'assumer, permet cette distanciation, reconnaît l'une des protagonistes.

Tous les sujets sont abordés et s'enchaînent dans une mise en scène épurée, où modernité (visio, whatsapp, skype et instagram) se mêle au suranné (albums photos) en rythme, sans temps mort. C'est alerte, drôle, mordant voire grinçant, toujours émouvant ; ça remue. Tout commence par la rencontre des parents, dans les 80' au cinéma ou au bal : le souvenir de la mère diffère de celui du père, on écoute FIP, on s'embrasse encore et encore, on enjolive. Plus tard, les parents fêtent leur cinquante ans de mariage : y'a-t-il eu des coups de canif dans le contrat, en vrai ? Entre suppositions et réponses évasives, on constate que cinquante ans de vie commune, tout de même, c'est une réussite. De l'autre côté du curseur, on divorce, ça fracture.

Pour leurs enfants, ils ont peur : artiste n'est pas un métier. Après tout, qu'importe si leur enfant annonce son homosexualité : être soi-même rapproche les uns et les autres, quand les nouvelles technologies ralentissent la communication. Réunions de famille, religions, origines et cultures, souvenirs et accommodements, humour laissent des traces différentes. En apparence. Il y a cette mère qui baragouine l'anglais. Interprétant "Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve" en karaoké, elle induit sa fille en erreur jusqu'à lui laisser croire qu'"above" est un verbe. Abover le rainbow... Il y a ce père qui achète une Mercedes parce que sa femme s'appelle Mercedes : "Parce qu'il trouvait ça drôle d'en avoir deux. Je ne dis pas laquelle des deux coûte le plus cher, dit-il..."

Ce père.... papa. PAPA ! Dont on attend la reconnaissance qui jamais ne vient, malgré les stratagèmes pour se faire remarquer.

Papa et maman sont-ils des êtres sexués ?  Pour l'une, un simple smac devient obscène et pour l'autre, entendre ses parents "faire l'amour" de l'autre côté de la cloison excitant. Entre les deux, c'est amoral, limite incestueux ou pudibond ("crac-crac"), voire asexué. Le tout avec délicatesse et respect. 

Vous l'aurez compris : les choses de la vie sont aussi librement qu'habilement mises en scène avec une sensibilité touchante qui jamais ne gêne ni n'offusque. La prestation des comédiens sur scène est homogène et équilibrée : ils ne forment qu'un enfant, face à ses deux parents.

Parmi les choses de la vie, impossible de passer la mort sous silence, même si ça paraît inconcevable : "Je me demande, enfin je vous demande : Comment vous faites quand on n'a plus ses parents ?".

Ce qu'il reste de cette heure ? L'amour, un amour filial infini qui transcende tout et dont il est impossible de s'affranchir, qu'on hérite du pire ou du meilleur. 

Et les parents, qu'en ont-ils pensé ? Les textes écrits semblaient sans nuance. C'est à l'oral et sur scène, lors des répétitions, que la distance s'est installée, que les intonations et les mots ont été affinés. Ainsi réécrit, une version a été proposée en lecture aux parents "les premiers concernées, c'est la moindre des choses." Un pas en arrière et deux en avant. Dire les choses plutôt que les écrire : est-ce la clé d'une communication compréhensible entre enfants et parents ?

C'est crédible, authentique : c'est du théâtre-documentaire. Avec même une pointe de suspense subtile. Si dès le départ la fin est annoncée, on l'oublie. Lorsque, à la toute dernière seconde, le tableau final se met en place, alors on se remémore les indices égrenés l'air de rien. 

Tag(s) : #théâtre, #morlaix, #Compagnie Zirlib, #Mes Parents, #transmission
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