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Il y a l’une : Mélinda, la jeune. Il y a l’autre, Mélinda : la vieille. Et Marc. Comme Marc et Mélinda qui formaient autrefois un couple de cinéma. On les prenait pour Jane Fonda et Alain Delon. Mélinda la jeune revient trente ans après le mariage de ce couple sexagénaire et néanmoins enthousiaste et ingambe, le soir du 31 décembre. Elle sonne à la porte, tandis que Mélinda la vieille, cuisine. Marc ouvre : il n’en croit pas ses yeux. Comme au premier jour de leur rencontre ! Superbe féline. Il retombe aussitôt amoureux. Avait-il jamais cessé de l’être ?

 

Plus que de la tendresse ou de l’amitié, Marc aime toujours Mélinda d’un amour brûlant et complice ; il porte sur elle le même regard depuis trente ans ; il continue de la désirer. Ils s’amusent, virevoltent, projettent, partent en voyage, partagent. Leur quotidien, une vie de famille, des enfants parfois encombrants et péremptoires qui savent mieux qu’eux ce qu’est la vie, la cuisine, un bon vin, une automobile de collection, mais surtout : la littérature et le cinéma. Mélinda parle jeune et ça énerve Marc : elle est en phase, elle gère. Elle titille Marc qu’elle surnomme old boy. Le verso de Mélinda, c’est sa disposition d’esprit alerte et disponible, cultivée et poétique : « On écrit des choses tristes dans des endroits lumineux, dit Mélinda. Regarde Jacques Brel avec Le Plat Pays. C’était devant la baie des Anges ». Mélinda ne cesse d’observer, curieuse, angélique et sarcastique. Comme Mélinda, l’autre. C’est précisément ce qui fait la force du couple que Marc forme avec Mélinda(s) : on dirait les deux faces d’une même monnaie, comme dans un roman de Luis Nucéra. Louis Nucéra, l’un des influenceurs littéraires de Marc. Comme Zweig, Malaparte, Céline entre autres.

 

Le couple infernal traverse l’Europe de la littérature et du cinéma en direction de sa reconquête. Une virée très gaie, sensuelle voire charnelle, à tâtons aussi. Car qui dit reconquête, évoque aussitôt la conquête, et les trésors d’imagination à déployer pour prouver à l’être aimé sa sincérité, sa flamme ; une flamme qui ne se consumera pas dès les premières difficultés. Marc réapprend à la cultiver. Même si parfois, c’est surprenant : « Mélinda m’a conduit jusqu’au lit, ma main dans la sienne. (…) Elle a allumé sa lampe de chevet. Et là, j’ai eu un choc. Ma jeune Mélinda n’était plus là. C’était l’autre. La vieille ». 

Comme dans Les Félins, pour pimenter, il y a trio. Marc, Mélinda et Mélinda s’en réfèrent à Oscar Wilde : « À deux on s’ennuie, à trois on s’amuse. » Et le trio ne s’en laisse pas compter : « Chez Fernand, elle a mangé du foie gras, un os à moelle, une entrecôte, un fondant au chocolat. Bu du champagne et du gigondas. Comme avant. Sans faire de chichis. Sans songer à sa ligne, à son cholestérol, à son diabète, à son teint, à sa cellulite, à ses poches sous les yeux.

‘Ça fait du bien, a-t-elle dit.

- Et ensuite ?

- On fera des galipettes. »

Marc s’y perd entre l’une et l’autre. L’une est-elle vraiment plus audacieuse que l’autre ? Laquelle réclame : « Mets-la ta bonne grosse. » Et si c’était plutôt Marc qui était devenu grincheux, chiant et cynique, comme le souligne Mélinda : « Ce que tu peux être conformiste ! »

 

Marc s’interroge : « Ce qui me déroute, c’est qu’elle est indépendante et possessive, souple et rigide, laxiste et directive, fragile et incroyablement forte. Elle sait ce qu’elle veut. Pas toujours ce qu’elle peut ». N’est-ce pas la plus belle des déclarations d’amour ? Mélinda a bien de la chance, parce que grâce à elle, Marc décide, tel un homme pressé : « J’accélère ma vie comme si j’avançais sur une passerelle étroite, craignant, à chaque instant, de basculer dans un vide, qui est tantôt celui de la fiction, tantôt celui de la réalité. » Et ainsi, le couple passe de Vienne à l’Andalousie et poursuit sur fond de western spaghetti où l’on croise Don Quichotte et on rit de bon cœur comme cela ne nous était pas arrivé depuis longtemps. C’est L’aventura.

 

Un roman composé de vice et de vertu, du Mépris ; Et Dieu créa la femme, que Marc n’oublie pas au passage. Un roman divertissant, dans lequel Marc réinvente sa femme, comme au premier jour, comme au jour le plus long, saupoudré de références habiles : « Ce n’est pas au vieux songe qu’on apprend à faire la grimace. (…)

- Le vieux songe, elle est bonne celle-là, mon minou ! Tu cherches à imiter Bondin ? »

 

Un roman construit comme un couple. « Ces dernières années, j’ai reproché ça à Mélinda. Son indépendance. Le risque, pour une femme indépendante, c’est de faire passer son indépendance pour de l’indifférence. Elle m’a répondu que je craignais de perdre ce que j’avais et que je désirais ce que je n’avais pas. Quel rapport ? Celui qui n’est pas jaloux n’est pas amoureux. »

 

C’est Mélinda, l’une et l’autre qui aura le dernier mot : « C’est la femme qui fait l’homme. (…) L’amour embellit les femmes et les femmes embellissent l’amour. » C’est tellement simple l’amour, quand on lit François CérésaUn roman que chacun devrait lire, il rend la vie lumineuse. C’est vaporeux comme au sortir d’un rêve, on n’a pas d’âge, on aime, on désire, on goûte et c’est tout. On se fait plaisir, comme avant et pour l’éternité.

 

L’une et l’autre, François Cérésa. Éditions du Rocher. 219 pages, 18 euros.

 

Tag(s) : #Litterature, #Actualité
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