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On peut dire ce qu’on veut, Yann Moix écrit bien. Il manie si bien l’écriture, le Grevisse, le Bescherelle, le Robert, qu’il peut se permettre de jouer un peu. Ainsi Orléans, sa dernière publication, est-il le premier roman autoproclamé d’humiliation « comme il existe des romans d’initiation » explique l’auteur médiatico-germanopratin exponentiel, qui se présente d’une manière discrète, inversement proportionnelle : « Yann Moix est écrivain. »

Un livre en deux parties, tout aussi inégales que son auteur, immodeste et contrit. Une deuxième partie que je passerai sous silence, qui ne comporte aucun intérêt, qui se veut le miroir de la première : « Dehors. » Une seconde partie où le narrateur se construit à travers les épreuves qu’il rencontre, hors de chez lui : les deuils, les rebuffades, les échecs et les coups durs. Une partie à clés, dans laquelle, en creux, il me semble lire une somme de justifications pénibles et inconsciemment larmoyantes. Comme s’il avait écrit ce livre pour confesser un péché d’ado et espérer accéder au pardon. Comme s’il savait que ce qu’il avait toujours redouté était sur le point d’être divulgué au grand public : la révélation de ses dessins antisémites. Lui, l’homme des médias pipole surexposé, qui condamne et raille volontiers, qui coupe la parole, lui le chroniqueur lapidaire et comminatoire, aurait pu écrire ce roman pour anticiper sa décapitation médiatique, tel un pervers narcissique.

 

En revanche sa première partie, si elle n’est pas moins l’œuvre d’un écrivain manipulateur, aurait pu figurer sur la liste du Goncourt : « Dedans », introduite par une citation de L’Homme qui rit « Ce qui est fait contre un enfant est fait contre Dieu. » Victor Hugo et ses visions d’apocalypse. En effet, dans cette première partie, les parents de ce petit garçon, fils unique sans histoire, studieux solitaire, ne se préoccupent pas du tout de l’intérêt supérieur de leur enfant. La mère le traite de petit enculé. Elle dit, cette mère : « Bien fait ! Bien fait ! On t’avait prévenu ! Enculé ! » quand le père, de son côté, lui invente les pires sévices. Pourquoi tant de haine et de barbarie ? Parce que ce garçon, dont on suit l’évolution de la maternelle à son entrée en Maths spé, commet le crime d’étudier ; de dévorer la littérature, en particulier Gide, Giono, Sartre dont « Les Mots disent l’enfance, les primes tremblements d’une vocation fantastique », Peguy dont il glisse, avec la mesure qui le caractérise : « Péguy et moi sommes des humbles -des humbles et des Orléanais. » ; d’écouter du jazz. Autant de prétextes à provoquer l’ire de ce père, incapable de comprendre ce merveilleux éveil, pas davantage Bill Evans, « du bruit réservé aux nègres ». L’innocent Yann est en quatrième, lorsqu’il découvre sa figure tutélaire, Gide. Erreur : « Espèce de pédé ! » hurla-t-il à en faire trembler les cloisons. « J’ai un fils pédé ! Tu es un pédé ! » Je ne compris rien à cette allégation criée. « Donne-moi ça ! » « Ça » désignait le pauvre petit bulletin gidien, bleu ciel, qui, dès le matin, avait suffi à m’insuffler un peu de bonheur et de joie pour la journée qui commençait. » explique le naïf jeune garçon, pour décrire la fureur de son paternel. Forcément, plus tard, comment ne pas comprendre sa frustration, n’est-ce pas : « Je ne deviendrais rien que je fusse susceptible d’aimer. »

Face à l’incompréhension traumatisante de ses parents, le jeune Moix pousse le culot jusqu’à écrire : « Je tentai un raisonnement, arguant que si j’avais été un lecteur inconditionnel de Drieu la Rochelle, je fusse accusé de collaborationnisme. Mais ma mère, qui n’avait jamais entendu parler de Drieu, me rétorqua que La Rochelle était La Rochelle et que c’était à Orléans, nulle part ailleurs, que nous habitions. »

À l’instar de Drieu la Rochette, et toutes proportions gardées, la complexité de Yann Moix déroute et ne laisse pas indifférent. Il émane de l’écrivain et de l’homme une sorte d’ « indéfinition » dont avait déjà été qualifié Pierre Drieu la Rochelle.

 

Sauf que… s’il écrit avec aisance, ses phrases ont un rythme, un style, de l'allant, du panache, cela ne suffit pas. Si cette partie avait été conçue comme un roman d’humiliation, sans buzz autour, comme un concept littéraire, si cette partie avait été écrite par un type aimable qui suscite l’empathie, « Orléans » aurait pu rencontrer son public, élitiste, populaire, marginal, ungerdround, tout à la fois.

Sauf que… la publication de ce roman et la polémique qui l’entoure, entre l’auteur et ses parents (à ce sujet, on ne peut que défendre ce livre, un « roman » remarquable), cumulé à la médiatisation de son auteur, qui frôle l’overdose, et, surtout, à la publication de ses dessins antisémites, qui datent de 1989, l’a exclu définitivement, par tous, partout. À ce sujet, je souscris à 100% à ces propos, de Bernard Morlino, parus dans « Service Littéraire », qui titre « Un bouquin à la Moix ! (…) Être antisémite dans les années 1930 et être antisémite dans les années 1989, ce n’est pas du tout pareil. Entre-temps, il y a eu les camps d’extermination avec six millions de Juifs assassinés. Pas besoin de faire un dessin ! »

Bref dedans ou dehors, Yann Moix, c’est comme le Brexit, un casse-tête inopérant.

 

Orléans. Yann Moix. Grasset. 272 pages. 19 euros.

Tag(s) : #Litterature, #romans
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